Découvertes archéologiques dans Pointe-Saint-Charles
En novembre 2019, des archéologues ont retrouvé des ossements sur un chantier du REM à Pointe-Saint-Charles. Cette découverte confirme l’existence d’un cimetière où 6 000 immigrants irlandais ont été enterrés en 1847. Retour sur cette histoire méconnue de Montréal.
Montréal et l’héritage irlandais
Les premiers immigrants irlandais arrivent au Canada au 17e siècle pour tenter leur chance au « Nouveau Monde ». L’immigration irlandaise atteint son apogée dans les années 1810-1830. Les nouveaux arrivants s’installent alors par dizaine de milliers dans les quartiers ouvriers de Griffintown, Pointe-Saint-Charles et Victoriatown.
Les Irlandais contribuent fortement au développement de la ville. Ils prennent part à tous les grands projets de l’époque tels que le canal de Lachine (1825), ses agrandissements (1843, 1875) et le pont Victoria (1854). Travaillant dans des conditions difficiles, ils participent également à l’essor des syndicats. Des lieux emblématiques comme la taverne Joe Beef (1875), qui sert de repaire aux ouvriers, illustrent l’influence de la communauté irlandaise dans la grande île.
Au 19e siècle, les Irlandais constituent le deuxième groupe ethnique en importance à Montréal. Les armoiries de la ville affichent d’ailleurs le trèfle irlandais depuis 1833, en reconnaissance aux immigrants irlandais comme peuple fondateur de la ville.
L’épidémie de typhus en 1847
Cette histoire connaît un tournant tragique à la moitié du siècle. Les Irlandais fuient leur pays face au manque de nourriture qui frappe l’Irlande pendant la Grande Famine (1845-1852). Entassés dans les navires dans des conditions insalubres, plusieurs voyageurs sont affectés par le typhus, une fièvre mortelle transmise par les insectes vivant sur les rongeurs.
En 1847, les immigrants irlandais arrivent par milliers par bateau et sont dirigés vers une zone de quarantaine à Grosse-Isle, près de Québec, avant de poursuivre leur route jusqu’à Montréal. Malgré cette quarantaine, des voyageurs porteurs de la bactérie débarquent à Montréal et c’est alors qu’une épidémie éclate : plus de 6 000 Irlandais meurent du typhus, auxquels s’ajoutent 1 000 résidents et même le maire de l’époque, John Easton Mills, qui s’était rendu au chevet des malades.
Face à l’ampleur de l’épidémie, les morts sont enterrés anonymement dans des cercueils en bois près du fleuve Saint-Laurent. « Ce n’est pas un cimetière organisé comme on les connaît, explique Elizabeth Boivin, directrice adjointe environnement pour le projet du REM. Les inhumations ont été réalisées avec soin mais il n’existe pas de repère permettant de délimiter précisément le cimetière. C’est d’autant plus difficile que le site est en grande partie recouvert par des voies ferroviaires et routières aujourd’hui. »
Il faut attendre la construction du pont Victoria, en 1859, pour voir un premier hommage aux défunts. Pendant ces travaux, les ouvriers découvrent des ossements et décident d’installer un monument en mémoire des victimes. La Roche Noire est alors tirée du fleuve afin de marquer le cimetière et éviter les profanations.
Le REM traverse l’histoire
C’est avec ces connaissances historiques que nous débutons les travaux dans ce secteur en 2019. À partir des cartes et des documents de l’époque, nous savions qu’il était probable que les travaux du REM se retrouvent en partie sur le cimetière des Irlandais.
En vue de minimiser les impacts, la conception est spécifiquement adaptée dans ce secteur. « Nous avons convenu avec l’entrepreneur de construire un seul pilier dans cette zone (voir schéma ci-dessus), contre deux en temps normal. La portée entre les piliers est donc plus longue et nous utilisons des poutres d’acier fabriquées sur-mesure, détaille Elizabeth Boivin. Nous avons aussi mandaté une firme pour mener des fouilles archéologiques dans le caisson du pilier. »
Cette approche est présentée et validée par le Ministère de la culture et des communications ainsi que la communauté irlandaise de Montréal. Le 12 juin 2019, une cérémonie de bénédiction est organisée à la Roche Noire afin de bénir le sol avant le début des travaux. Des représentants de diverses confessions religieuses, de même que des Premières Nations, sont présents pour l’événement.
Les fouilles archéologiques
Après les travaux préparatoires, des fouilles archéologiques sont réalisées à l’endroit du futur pilier. Il s’agit d’un travail d’une grande précision : les fouilles ont lieu dans un diamètre de 3 mètres avec peu d’espace pour procéder, puisque les voies ferroviaires sont juste à côté.
- D’abord, le caisson d’acier est foré et ancré dans le roc, à environ 12 mètres de profondeur.
- Le talus ferroviaire (environ 5 mètres) est excavé pour atteindre le niveau du cimetière.
- Les archéologues entrent dans le caisson avec une nacelle, conçue sur mesure pour le projet. Celle-ci est composée de six plaques amovibles qui permettent aux archéologues d’effectuer méthodiquement les fouilles.
Ces recherches ont permis de découvrir les ossements de 14 individus. « Les fragments d’os sont très bien préservés dans une couche d’argile, et cela même si les trains roulaient plus haut, poursuit Elizabeth Boivin. La firme spécialisée nettoie, documente et analyse présentement les sépultures. Compte tenu de la position du pilier et des informations historiques à notre disposition, il fait peu de doute que ces ossements appartiennent aux immigrants irlandais ».
Lorsque les analyses seront terminées, les ossements seront remis à la communauté irlandaise, qui collabore avec la Ville de Montréal et Hydro-Québec sur un projet de parc commémoratif. Une façon de rendre hommage aux Irlandais qui ont contribué de façon importante au développement économique, social et culturel de Montréal.